DIMANCHE
20 OCTOBRE 2024
29° Dimanche du Temps Ordinaire. Année B
Homélie sur Marc 10, 35 – 45
«Celui qui veut devenir grand sera votre serviteur »
« Donne-nous de siéger, l’un à ta droite et l’autre à ta gauche, dans ta gloire …
Les dix autres, qui avaient entendu, se mirent à s’indigner contre Jacques et Jean ». Il y a là quelque chose de très réconfortant pour nous, l’avez-vous réalisé ?
Lorsqu’une célébrité, une personnalité publique, écrit ses mémoires, elle cherche toujours à se donner le beau rôle, en passant sous silence ou en minimisant ses défauts, ses ratés, ses échecs et ses turpitudes. Les Apôtres, au contraire, en rédigeant les Evangiles sous l’inspiration divine, n’ont pas peur de montrer leurs limites, leurs failles, leurs faux pas, nous venons de l’entendre. Deux d’entre eux, parmi les plus proches de Jésus, Jacques et Jean, tentent une magouille auprès du maître : obtenir les meilleures places en finale, la meilleure récompense, au détriment des dix autres. Aussitôt les dix autres, furieusement jaloux, se mettent en colère pour que le maître ne les oublie pas eux non plus. C’est vraiment très humain, terriblement humain et mesquin. On dit plaisamment que partout où il y a des hommes, il y a aussi de l’hommerie ; l’hommerie, cette pesanteur, cette lourdeur, qui nous tire tous vers le bas. Eh bien, l’hommerie était présente dans l’Eglise dès les premières heures !
Si c’est réconfortant, c’est parce que cela nous montre que Jésus n’a pas choisi des surhommes comme Apôtres, mais qu’il a choisi des gens tout à fait ordinaires, avec leur lourdeur et leurs défauts.
Réconfortant pour nous, parce que cela signifie que Jésus n’attend pas que nous soyons devenus saints pour nous appeler à le suivre. Jésus nous appelle aujourd’hui, tels que nous sommes, là où nous sommes ; c’est aujourd’hui qu’il faut lui répondre, et c’est lorsque nous marcherons à sa suite que nous progresserons vers la sainteté.
Réconfortant pour l’Eglise, parce que ces Apôtres si épais, Jésus les a choisis en connaissance de cause, et il n’a jamais pensé les révoquer pour confier à d’autres la conduite de son Eglise ; et ces Apôtres pourtant si épais, ils ont su ensuite verser leur sang pour Jésus et pour l’Evangile. Si Jésus n’a pas voulu choisir comme Apôtres des hommes parfaits, comment l’Eglise pourrait-elle faire mieux ? Ceux que Jésus, et l’Eglise, appellent à être pasteurs du peuple de Dieu, les ministres ordonnés, ils ne sont pas choisis sur concours, comme les meilleurs, comme une élite de gens parfaits, impeccables, sans défauts : ils sont comme tout le monde, ils sont, sans aucune exception, limités, imparfaits, grossiers, pécheurs. Nous souffrons parfois de leurs limites, de leurs défaillances, de leurs péchés, c’est vrai, mais au lieu de les accuser prions plutôt pour qu’ils gardent leur fidélité à Jésus et grandissent en sainteté.
La grande leçon que nous donne aujourd’hui Jésus, elle porte sur la façon dont nous devons le suivre, nous les chrétiens, le suivre et construire l’Eglise malgré nos lourdeurs, nos limites et nos péchés.
« Donne-nous de siéger, l’un à ta droite et l’autre à ta gauche, dans ta gloire … Vous ne savez pas ce que vous demandez ».
Ce que Jésus reproche à Jacques et Jean, ce n’est pas d’être ambitieux, de viser trop haut, d’être orgueilleux. Non, il leur reproche de se tromper d’ambition, ou plus exactement de se tromper sur la manière d’y parvenir. « Vous ne savez pas ce que vous demandez », c’est-à-dire vous vous trompez de chemin. Ils ambitionnent de siéger à sa droite et à sa gauche ? C’est très bien ! Comment Jésus pourrait-il reprocher à quiconque de vouloir être près de lui, au plus près de lui, pour toujours ? Il leur reproche par contre de n’avoir pas compris quel est le seul chemin à prendre pour réaliser cette ambition : « Pouvez-vous boire la coupe que je vais boire, être baptisés du baptême dans lequel je vais être plongé ? » Le seul chemin de la seule ambition qui vaille, c’est de boire avec lui la coupe de l’humiliation et d’être baptisé avec lui dans le baptême de sa mort, afin de pouvoir siéger avec lui dans la gloire.
C’était vrai pour les Apôtres, et c’est vrai aussi pour tous les chrétiens : Jésus ne nous demande pas, bien au contraire, de renoncer à une grande ambition, de renoncer au désir de le rejoindre dans la vie éternelle. Il nous enseigne par contre le seul chemin pour y parvenir : le chemin de l’humiliation acceptée par amour, le chemin du don de notre vie jusqu’à la mort, le chemin de la croix. Or cela fait peur : cela fait peur aux disciples, cela nous fait peur à nous tous. Nous préférons en effet les chemins moins étroits, moins dangereux, plus confortables, ceux que nous propose le monde. Eh bien, chaque fois que nous, chrétiens, et en particulier nous les ministres du Christ, chaque fois que nous cédons à la tentation des chemins de ce monde, fuyant l’humiliation, cherchant la gloire, la sécurité, la réussite, les honneurs, les facilités, nous sommes sûrs à chaque fois de nous tromper, nous sommes sûrs que nous faisons fausse route, que nous ne sommes pas sur la voie où Jésus nous appelle.
« Celui qui veut devenir grand parmi vous sera votre serviteur. Celui qui veut être parmi vous le premier sera l’esclave de tous : car le Fils de l’homme n’est pas venu pour être servi, mais pour servir, et donner sa vie en rançon pour la multitude ».
Est-ce que Jésus exhorterait ses disciples à n’exercer aucun pouvoir mais au contraire à servir ? Ce n’est pas cela du tout ! Jésus ne condamne pas l’exercice du pouvoir : « Vous le savez : ceux que l’on regarde comme chefs des nations les commandent en maîtres ; les grands leur font sentir leur pouvoir. Parmi vous, il ne doit pas en être ainsi. Celui qui veut devenir grand parmi vous sera votre serviteur ».
Ce que Jésus demande aux Apôtres, c’est de ne pas « commander en maître », de ne pas « faire sentir leur pouvoir », mais au contraire de devenir les serviteurs de tous. Jésus ne leur demande pas de ne pas commander, de ne pas exercer d’autorité, comme si servir était incompatible avec l’exercice de l’autorité, comme si l’on ne pouvait servir qu’en renonçant à tout pouvoir, comme si Jésus avait voulu libérer l’Eglise de toute forme de pouvoir et d’autorité.
Le texte français de l’Evangile, « commander en maître » et « faire sentir son pouvoir », ne rend qu’imparfaitement le texte grec de saint Marc, qui est beaucoup plus fort. Ces deux verbes signifient en effet : exercer le pouvoir ou l’autorité contre quelqu’un, au détriment de quelqu’un, c’est-à-dire l’opprimer. Au lieu de gouverner au service d’une communauté, pour le bien d’une communauté, pour que les hommes puissent y grandir en vérité, en liberté, en sainteté, cette perversion du pouvoir consiste à gouverner pour son avantage personnel, à l’encontre du bien des personnes, pour les infantiliser, les immobiliser, les priver de la vraie liberté des enfants de Dieu, jusqu’à les violenter pour sa propre jouissance.
Jésus lui-même a conféré à ses Apôtres son propre pouvoir sur l’Eglise (cf. Matthieu 16, 18-19 ; Jean 21, 15-17) ; ce contre quoi il veut les prémunir, ce n’est donc pas l’exercice de l’autorité, mais une forme pervertie du pouvoir, une forme mondaine, qui considère l’exercice de l’autorité comme un moyen pour se grandir soi-même, pour se promouvoir, se hausser au détriment des autres, contre les autres. A l’opposé de cette perversion mondaine du pouvoir, Jésus donne lui-même l’exemple de la manière dont les Apôtres doivent exercer leur autorité sur l’Eglise, l’autorité que lui-même leur confie : « car le Fils de l’homme n’est pas venu pour être servi, mais pour servir, et donner sa vie en rançon pour la multitude ».
Cette perversion mondaine du pouvoir, elle est bien présente dans notre société, nous le savons bien. Et elle existe parfois aussi dans l’Eglise, malheureusement ; la presse se charge d’ailleurs souvent de nous le rappeler. Cela explique que la tentation existe pour certains chrétiens de prétendre purifier l’Eglise de toute forme de pouvoir et d’autorité : puisqu’il existe des abus de pouvoir, il faudrait supprimer le pouvoir ! ou au moins marginaliser la hiérarchie apostolique établie par Jésus pour la remplacer par autre chose. Ainsi, sous prétexte de synodalité, on entend dire qu’il faudrait donner le pouvoir dans l’Eglise aux chrétiens de la base, aux femmes, aux homosexuels, etc. Ce serait une conception du pouvoir aussi mondaine, aussi pervertie, que celle que Jésus récuse. En effet, depuis que Jésus nous a dit « Celui qui veut devenir grand parmi vous sera votre serviteur », nous savons que chaque fois que nous raisonnons en termes de pouvoir et non en termes de service, nous sommes sûrs de nous tromper, nous sommes sûrs que nous faisons fausse route, que nous ne sommes pas sur la voie où Jésus nous appelle.
Nous savons que c’est aux douze Apôtres et à leurs successeurs que Jésus a confié, jusqu’à son retour à la fin des temps, la mission de conduire la barque de l’Eglise, de la gouverner, de l’enseigner, de la sanctifier en son nom, la mission de conduire la barque de l’Eglise en se plaçant à son service.
La véritable synodalité, et elle est urgente, elle serait que tous, laïcs, religieux et religieuses, ministres ordonnés, nous nous aidions les uns les autres, avec exigence, avec fermeté, sans concession, sans silence peureux, en toute lucidité et franchise, nous nous aidions pour que l’autorité du Christ soit exercée dans l’Eglise à la manière du Christ lui-même, comme le Christ lui-même l’a commandé à ses Apôtres. Que l’autorité soit exercée radicalement comme un service, comme un don total de soi qui plonge les ministres dans la radicalité de la Croix du Christ.
L’Eglise est une grande famille, une grande famille de pécheurs, mais de pécheurs pardonnés, appelés par le Seigneur à devenir des saints en marchant sur ses traces. Il en va des ministres ordonnés comme des laïcs et des religieux : le premier service mutuel que tous nous devons nous rendre, dans l’Eglise, c’est de relayer sans cesse parmi nous l’appel de Jésus à la conversion de tous, c’est de nous inviter mutuellement, les uns les autres, à la conversion.
L’Eglise doit se réformer, c’est vrai, elle doit sans cesse se réformer, c’est-à-dire sans cesse revenir à la radicalité de la Croix du Christ. Réformer, ce n’est pas, comme le monde l’imagine, bouleverser les structures, changer les règles du jeu établies par Jésus. Réformer, c’est nous replonger tous ensemble, chacun selon sa mission propre, dans la radicalité du service de l’Evangile, dans la radicalité de l’appel universel à la sainteté. Si nous recevons chaque dimanche, ou même chaque jour, le sacrement du Corps et du Sang du Seigneur, c’est précisément pour nous laisser réformer par le Seigneur lui-même, pour nous laisser renouveler dans le désir de participer plus pleinement à la sainteté que Jésus nous offre.
Alors, frères et sœurs, demandons au Seigneur d’ouvrir nos cœurs pour nous faire davantage désirer la sainteté et pour nous faire progresser sur le chemin qui mène à la sainteté. Amen.
DIMANCHE
13 OCTOBRE 2024
28° Semaine
du Temps Ordinaire. Année B
Homélie sur Marc10,17 – 30
Le jeune homme riche
« Bon Maître, que dois-je faire pour avoir la vie éternelle en héritage ? »
Il est sympathique, cet homme, ce jeune homme sans doute, qui interroge Jésus, il a tout pour lui : il est riche, ce qui est considéré à l’époque comme le signe de la faveur divine, il est sage, au contraire de certains qui profitent de leur jeunesse pour mener une vie déréglée, et on sent qu’il cherche Dieu avec sincérité. Ce jeune homme, vous l’avez reconnu, c’est le fiancé idéal, ou, encore mieux, le gendre idéal.
Et pourtant il nous déçoit. A l’appel de Jésus : « Va, vends ce que tu as et donne-le aux pauvres … », « il devint sombre et s’en alla tout triste, car il avait de grands biens ».
La conclusion facile de cet épisode serait que le jeune homme refuse l’appel de Jésus parce qu’il est riche. C’est vrai, bien sûr, et Jésus le souligne : « Il est plus facile à un chameau de passer par le trou d’une aiguille qu’à un riche d’entrer dans le royaume de Dieu ».
Mais s’il n’y avait que cela dans la réflexion de Jésus, cela n’irait pas plus loin qu’une leçon de morale : quand la richesse matérielle accapare notre cœur, nous ne sommes plus libres pour répondre à l’appel de Dieu. C’est vrai, bien sûr, mais l’Evangile n’est pas une leçon de morale : l’Evangile nous parle de Dieu et de son amour pour nous ; l’Evangile est une Bonne Nouvelle, une parole de vie, une libération. Alors cherchons où se trouve la parole de vie dans cet épisode.
A la question « Bon Maître, que dois-je faire pour avoir la vie éternelle en héritage ? », Jésus commence par donner la réponse classique, celle qu’aurait faite n’importe quel rabbin de l’époque : « Tu connais les commandements : Ne commets pas de meurtre … pas d’adultère ... etc. »
Cette réponse, elle est juste, bien sûr, et elle pouvait suffire pour les Juifs de l’Ancienne Alliance. Mais cette réponse, elle ne suffit pas au jeune homme, qui sent qu’avec Jésus il y a quelque chose de plus, qui sent qu’avec Jésus il pourrait s’approcher davantage de Dieu : « Maître, tout cela, je l’ai observé depuis ma jeunesse ». Que dois-je faire de plus ?
Alors, voyant ses bonnes dispositions, Jésus lui découvre le secret de l’Evangile : « Une seule chose te manque : va, vends ce que tu as et donne-le aux pauvres ; alors tu auras un trésor au ciel. Puis viens, suis-moi. »
Le secret de l’Evangile, il tient en trois mots : « Viens, suis-moi. »
Trois mots seulement, mais c’est une nouveauté radicale pour la mentalité juive.
Les Juifs de l’Ancien Testament ne se préoccupaient que de ce qu’il fallait faire pour obéir à la Loi. Les Prophètes avaient beau leur rappeler régulièrement que les dispositions du cœur comptent plus que les pratiques, que les pratiques n’ont aucune valeur sans les dispositions du cœur correspondantes, la mentalité juive revenait sans cesse à une observance simplement formaliste. C’est là d’ailleurs le grand reproche que Jésus adresse aux Pharisiens.
Jésus ne remet pas du tout en cause la Loi de Moïse : « Tu connais les commandements ». Non, mais Jésus y ajoute : « Viens, suis-moi », et cela change tout.
« Viens, suis-moi ». On passe de la simple pratique de la Loi à quelque chose d’infiniment plus profond. Jésus nous appelle à le suivre, c’est-à-dire à engager sur lui tout notre être et tout notre destin. On passe du niveau du faire au niveau de l’être.
Par l’Evangile, de la satisfaction d’être en règle avec les commandements, on passe à l’adhésion à la personne vivante de Jésus. C’est Jésus qui est notre Loi, c’est Jésus qui est le modèle de notre comportement, notre morale vivante, la source de notre vie. « Viens, suis-moi », c’est un engagement total que nous demande Jésus, mais un engagement fondé sur l’amour.
Que me manque-t-il encore ? demande le jeune homme. Ce qui lui manque, ce n’est pas une pratique supplémentaire à ajouter à la Loi. Ce qui lui manque, c’est quelque chose qui est au-delà de l’observance de la Loi, et cet au-delà c’est Jésus lui-même.
Etre chrétien, cela ne consiste pas à observer tel ou tel comportement. Non, être chrétien c’est d'abord et avant tout suivre Jésus. Suivre Jésus, vouloir nous unir toujours davantage à Jésus, conformer notre cœur à son cœur, conformer nos sentiments à ses sentiments, conformer notre volonté à sa volonté. Les pratiques ? Elles ont leur importance, bien sûr, mais elles découlent de notre attachement à Jésus. Jésus est lui-même l'accomplissement parfait de la Loi (cf. CEC 2053).
Alors, notre jeune homme, comment accueille-t-il cette découverte de l’Evangile ? « Mais lui, à ces mots, devint sombre et s’en alla tout triste, car il avait de grands biens ».
Il n’est pas prêt à répondre à l’appel de Jésus. Sa conscience est en règle avec les commandements, oui, mais son cœur n’est pas prêt à aller au-delà, il n’est pas prêt à engager tout son être à la suite de Jésus. Il conçoit en fait Dieu et la vie éternelle comme un bien à acquérir, un bien de plus à posséder : « Que dois-je faire pour avoir la vie éternelle en héritage ? »
C’est là qu’il fait fausse route. Il possède déjà les biens matériels, et il voudrait avoir en plus les biens éternels. En lui répondant « Viens, suis-moi », Jésus lui révèle doucement que la vie éternelle n’est pas une récompense pour demain, mais qu’elle est la vie avec lui, tout de suite et pour toujours. Et que pour suivre Jésus, pour vivre avec Jésus, il faut être libre : « Une seule chose te manque : va, vends ce que tu as ».
En disant « Viens, suis-moi », Jésus lui révèle aussi donc que le Royaume de Dieu est d’un autre ordre que les possessions matérielles. La sainteté n’est pas une accumulation de biens spirituels ; et la vie éternelle, on ne l’acquiert pas, on ne la gagne pas, mais on la reçoit de Dieu qui la donne gratuitement.
C’est un renversement de perspectives que Jésus annonce ici : le salut ne se mérite pas, il se reçoit à genoux dans l’action de grâce. Mais pour cela il faut être libres, il faut savoir quitter tout ce qui nous entrave.
Ce jeune homme riche pourrait bien être chacun de nous. Nous sommes comme lui en quête de vie éternelle, même si parfois nous lui donnons un autre nom : bonheur, liberté, paix, épanouissement, etc.
Comme lui, nous faisons de notre mieux ce que nous avons à faire, et c’est normal, et c’est bien. Nous sommes quelquefois satisfaits de ce que nous avons réussi à faire, et c’est normal, et c’est bien. Mais il ne faudrait pas que cela nous fasse oublier que ce qui prime tout c’est la personne de Jésus, ce qui prime tout c’est notre engagement à la suite de Jésus. Parce que Jésus nous dit qu’il ne s’agit pas d’abord de faire de notre mieux, mais qu’il s’agit d’être avec lui, de le suivre.
Comme le jeune homme riche, nous voudrions avoir Jésus en plus du reste. Être des gens bien, généreux, dignes, riches si possible, et chrétiens en plus. Nous voudrions que Jésus soit dans notre vie un bien parmi d’autres, le plus beau bien sûr, mais un bien en plus des autres, et que cela nous garantisse ensuite la vie éternelle. Mais cela ne marche pas : Jésus nous demande d’être prêts à tout laisser pour lui. Jésus est le bien que l’on ne peut pas posséder si on n’est pas prêt à lui sacrifier tous les autres. Jésus, ou la vie éternelle, on ne peut pas l’avoir, on peut seulement le recevoir, et on ne le recevra que si on accepte de lui donner non pas la première place en nous, mais toute la place.
A certains d’entre nous Jésus demande effectivement de renoncer aux biens matériels : « Va, vends ce que tu as … puis viens, suis-moi » ; c’est le cas des moniales qui vivent ici, nous le savons. Mais à tous il demande de nous dégager de toutes les sécurités artificielles qui nous rassurent mais qui enchaînent notre cœur en l’empêchant de s’ouvrir pour recevoir le don de Dieu. La vraie question, celle que n’a pas su poser le jeune homme riche, ce n’est pas de savoir ce qui nous manque pour être parfaits, mais ce qu’il nous faut quitter pour d’être plus disponibles à l’Esprit Saint.
Alors, frères et sœurs, dans tout ce que nous avons à faire, dans tout ce que nous avons à vivre, pensons parfois au jeune homme riche, et rappelons-nous que, à nous aussi, à nous chrétiens, Jésus a dit un jour : « Viens, suis-moi ».
DIMANCHE
6 OCTOBRE 2024
27° Dimanche
du Temps Ordinaire. Année B
Homélie sur Marc, 10, 2 – 16
« Ce que Dieu a uni, que l’homme ne le sépare pas ! »
Bonne nouvelle ?
« Celui qui renvoie sa femme et en épouse une autre devient adultère envers elle. Si une femme qui a renvoyé son mari en épouse un autre, elle devient adultère ».
L’enseignement de Jésus, c’est l’Evangile, c’est la Bonne Nouvelle, la Bonne Nouvelle du salut, qui est une libération pour tous les hommes. Mais sincèrement, proclamer abruptement que celui qui quitte son conjoint et en prend un autre commet l’adultère, est-ce que cela résonne vraiment comme une bonne nouvelle, une bonne nouvelle pour les hommes et les femmes de notre époque ? Ce n’est pas sûr du tout ! Et à l’époque de Jésus ce n’était certainement pas plus facile à entendre ; d’ailleurs saint Matthieu rapporte la réaction pittoresque des Apôtres : si c’est cela le mariage, alors ce n’est pas la peine de se marier ! (Matthieu 19, 10)
La déclaration de Jésus paraît d’autant plus déconcertante qu’elle semble contredire son attitude habituelle : Jésus respecte toujours la Loi de Moïse, et lorsqu’il s’en écarte c’est pour en adoucir ce qu’elle a de contraignant : « Le sabbat a été fait pour l’homme, et non pas l’homme pour le sabbat » (Marc 2, 27), « Personne ne t’a condamnée ? … moi non plus, je ne te condamne pas » (Jean 8, 10-11), « Mon joug est facile à porter, et mon fardeau, léger » (Matthieu 11, 30). Jésus se montre toujours plus souple, plus humain que les prescriptions juridiques. Tandis qu’aujourd’hui on aurait l’impression qu’il vient au contraire durcir la Loi, alourdir le fardeau de tous ceux qui connaissent des difficultés conjugales, en leur donnant une leçon de morale intransigeante : un seul mari et une seule femme pour toute la vie !
Cela ressemble à une leçon de morale, et pourtant nous savons que l’Evangile n’est pas une leçon de morale mais qu’il est une Bonne Nouvelle, qu’il est une libération. Alors, où se trouve la bonne nouvelle dans ces paroles de Jésus ?
La situation à l’époque de Jésus
A l’époque de Jésus, la Loi juive permettait à un homme de renvoyer sa femme. Il ne s’agit pas de divorce au sens moderne du terme, il s’agit de répudiation : le mari a le droit de se débarrasser de sa femme, et la femme n’a aucun droit. Une controverse existait pourtant parmi les rabbins : pour quels motifs un homme est-il autorisé à renvoyer sa femme ? Seulement pour un motif grave : par exemple si elle n’a pas eu d’enfants ou n’a eu que des filles ? Ou bien pour un motif plus léger : par exemple si elle tient mal son ménage ou a laissé brûler un rôti ?
C’est sur ce terrain que les adversaires de Jésus veulent l’entraîner, parce que, effectivement, la répudiation se trouve mentionnée dans la Loi de Moïse (Deutéronome 24, 1), donc elle est considérée par les Juifs comme Parole de Dieu : pour un bon Juif, Dieu permet le divorce. Si on se place sur le terrain de la Loi, la question se pose donc effectivement de déterminer les motifs qui peuvent justifier un divorce.
Jésus replace la question sous la bonne perspective
C’est un piège que les Pharisiens tendent à Jésus. A leur question « Est-il permis à un mari de renvoyer sa femme ? », Jésus devrait forcément répondre oui, car s’il répond non il contredit la Loi de Moïse et donc il se discrédite aux yeux de tous les Juifs. Et s’il répond oui, il va falloir qu’il prenne parti dans la controverse sur les motifs de répudiation.
Jésus évite le piège en replaçant la question sous la bonne perspective. Il ne suit pas les Pharisiens sur le terrain de la morale, mais il leur indique la réponse en se plaçant sur un autre plan, en se référant au projet de Dieu : « Au commencement de la création, Dieu les fit homme et femme. À cause de cela, l’homme quittera son père et sa mère, il s’attachera à sa femme, et tous deux deviendront une seule chair ». Les lois, et la Loi de Moïse elle-même, sont nécessaires pour régler les rapports à l’intérieur de la société, mais il y a quelque chose qui est plus élevé que les lois, et que le rôle des lois est d’essayer de traduire : c’est le projet de Dieu sur l’homme.
« Au commencement de la création, Dieu les fit homme et femme ». Jésus ne cite que le début d’un verset de la Genèse (Genèse 1, 27), mais tous ses interlocuteurs connaissent par cœur la suite : « Dieu créa l’homme à son image, à l’image de Dieu il le créa ; homme et femme il les créa ». La vraie destinée du couple, c’est d’être l’image de Dieu. Et, aussitôt, Jésus ajoute une deuxième référence, prise un peu plus loin dans la Genèse : « A cause de cela, l’homme quittera son père et sa mère, il s’attachera à sa femme, et tous deux ne feront plus qu’un » (Genèse 2, 24). Bien sûr, si le couple humain est l’image de Dieu, il est indivisible, indissoluble, et Jésus en tire la conclusion logique : « Ce que Dieu a uni, que l’homme ne le sépare pas » ; c’est-à-dire : ce que Dieu a conçu dans l’unité, le couple humain, que l’homme ne le sépare pas.
On est là au cœur du mystère du projet de Dieu ; c’est autrement plus élevé que la question des Pharisiens : quand peut-on se débarrasser de sa femme ?
Les Pharisiens, comme les Apôtres d’ailleurs, en restent à la réalité concrète de la vie conjugale, qui n’est pas toujours facile, sinon la question du divorce ne se poserait pas. Jésus ne nie pas les difficultés concrètes, mais il va au-delà en rappelant que l’éminente dignité du couple humain vient du fait qu’il est image de Dieu.
Pourquoi la Loi de Moïse autorise-t-elle la répudiation ?
Mais alors, si le divorce ne correspond pas au plan de Dieu sur l’homme et la femme, pourquoi Moïse l’a-t-il autorisé ?
Jésus commence par rectifier l’affirmation des Pharisiens : Moïse n’a pas établi le divorce, il a seulement pris acte que le divorce était pratiqué et, sans l’interdire mais afin de le rendre plus difficile, il l’a réglementé. Alors qu’à son époque il suffisait pour renvoyer sa femme qu’un homme répète trois fois : « Je veux te répudier », Moïse a imposé de rédiger une attestation écrite, un billet de répudiation - procédure compliquée à une époque où la plupart des gens ne savaient ni lire ni écrire. Voilà pourquoi Jésus précise que « c’est en raison de la dureté de vos cœurs que (Moïse) a formulé pour vous cette règle ».
Jésus ne dit pas que la Loi de Moïse est bonne ni qu’elle est mauvaise. Elle n’est pas mauvaise, elle n’est qu’une étape, une étape destinée à conduire progressivement vers la réalisation du plan de Dieu sur l’homme et la femme. La répudiation étant couramment pratiquée, il n’aurait pas été possible de l’abolir d’un seul coup, « en raison de la dureté de vos cœurs », alors l’acte de répudiation est une mesure juridique destinée à limiter l’arbitraire des répudiations, destinée donc à protéger les femmes. « Moïse a permis de renvoyer sa femme à condition d’établir un acte de répudiation ».
La Loi de Moïse est une première étape, et Jésus va directement à la dernière étape, celle qui rétablit le couple humain selon le projet de Dieu : « Celui qui renvoie sa femme et en épouse une autre devient adultère envers elle. Si une femme qui a renvoyé son mari en épouse un autre, elle devient adultère ». Cette réponse de Jésus a dû stupéfier les Pharisiens, car il était impossible qu’une femme puisse renvoyer son mari ! Cette possibilité existait à l’époque dans le monde gréco-romain, mais pas chez les Juifs. Jésus indique par là que le projet de Dieu met l’homme et la femme sur un pied d’égalité, dans une relation durable mais sans domination de l’un sur l’autre.
Ce que signifie la réponse de Jésus
« Dieu créa l’homme à son image, à l’image de Dieu il le créa ; homme et femme il les créa ». C’est en tant qu’homme et femme que nous sommes créés à l’image de Dieu. Dieu est amour, et l’homme et la femme ont été créés pour qu’ils s’aiment, en reflétant la nature même de Dieu, en participant à la nature de Dieu. Dans le mariage il ne s’agit pas d’appliquer une loi, mais il s’agit de vivre une relation, il s’agit d’aimer.
L’homme est enfant de Dieu ; la femme est enfant de Dieu ; mais le couple humain, l’homme et la femme ensemble, sont davantage, ils sont une image de Dieu. Donc à travers un couple qui vit en vérité son amour humain on peut découvrir qui est Dieu, on peut découvrir que Dieu est amour. Si je veux un peu savoir qui est Dieu, je peux m’en faire une idée en regardant un couple réussi ; et mieux encore, en vivant moi-même une relation d’amour véritable dans le mariage.
Ne croyez pas, nous dit Jésus, que le mariage est un simple contrat entre un homme et une femme qui unissent leur destin pour le meilleur et pour le pire. C’est bien davantage, c’est bien plus grand : dans le mariage, il y a l’homme, il y a la femme, et il y a Dieu. Dieu est partie prenante en tout amour humain, car il en est à la fois l’origine et le garant.
Ce qui unit le mari et la femme, c’est l’amour de Dieu, qui est évidemment éternel, et c’est pour cela que le mariage a une dimension d’éternité ; et c’est pour cela que le couple humain est une réalité sacrée : l’attaquer, le salir ou le briser, c’est dénaturer l’image même de Dieu.
C’est pour cela que Jésus se fait si exigeant lorsqu’il parle du mariage. Dans le projet de Dieu, il n’y a rien de plus grand pour le représenter sur terre qu’un couple réussi. En proclamant l’indissolubilité du mariage, Jésus n’édicte pas une loi bête et implacable, mais il nous invite à tout faire pour que cette réussite soit effective – et s’il nous y invite, nous pouvons être sûrs qu’il nous accordera sa grâce pour nous aider à y parvenir.
Où se trouve la bonne nouvelle ?
Revenons à notre question de départ : où se trouve la bonne nouvelle dans les paroles intransigeantes de Jésus sur le mariage ?
La bonne nouvelle, elle est que le mariage n’est pas un simple contrat mais est une alliance, qui est quelque chose de très grand et de très beau parce que Dieu est partie prenante dans cette alliance. Par le sacrement de mariage, Dieu vient demeurer avec les époux, il veut les aider à ne pas être deux mais à ne plus faire qu’un dans l’amour. Aimer c’est une aventure qui s’appuie sur la fidélité de Dieu.
La bonne nouvelle aussi, c’est que la femme, ou le conjoint, n’est pas un objet jetable qu’on acquiert et dont on peut se débarrasser quand on veut, mais que le conjoint est un don de Dieu
La bonne nouvelle, pour ceux qui commettent des fautes ou connaissent des difficultés, c’est que pour Dieu les personnes sont toujours plus importantes que les institutions. Nous savons comment Jésus traite la Samaritaine qui a eu six maris, la femme adultère en danger d’être lapidée, ou Marie Madeleine la prostituée : il en fait des exemples de la miséricorde et de la tendresse de Dieu. Aujourd’hui Jésus se montre exigeant sur le mariage, c’est vrai, mais il le fait devant les Pharisiens qui lui tendent un piège ; tandis que devant ceux qui ont chuté, il dit seulement, comme à la femme adultère : « Je ne te condamne pas. Va, et désormais ne pèche plus » (Jean 8, 11).
La bonne nouvelle, pour ceux dont le mariage s’est brisé, c’est donc qu’ils ne sont pas coupés de la miséricorde de Dieu. Jésus ne fait le procès de personne, il sait bien que nous sommes fragiles et limités, et qu’il y a une grande distance entre l’idéal et la réalité vécue. Dieu nous accorde sa grâce, mais il sait bien que l’accueil de cette grâce est exigeant, difficile, d’autant plus difficile qu’il doit être le fait des deux conjoints ensemble, et que certains couples y échouent. Jésus n’est pas venu pour condamner mais pour sauver, et il ne refuse pas sa tendresse à ceux qui n’ont pas pu atteindre l’idéal qu’il nous a montré. Quelle que soit notre situation et quels que soient nos torts, la grâce de Dieu nous reste offerte pour nous aider à transformer notre cœur, pour nous apprendre à aimer comme Dieu nous aime.
La bonne nouvelle, finalement, c’est que l’amour pour toujours est possible, et qu’il trouve sa source dans le cœur de Dieu. En nous révélant le mystère du mariage et ses exigences les plus profondes, Jésus ne vient pas rigidifier le mariage, en faire un fardeau pesant, mais au contraire le dynamiser, en faire un chemin de vie.
Conclusion
Ce que Jésus dit du mariage, on peut l’élargir à toute la vie chrétienne. Ce n’est pas un hasard si la Bible compare souvent l’alliance entre Dieu et l’homme à un mariage, et l’infidélité de l’homme envers Dieu à un adultère (cf. Osée, Ezéchiel 16, etc.).
Pour nous permettre de vivre la sainteté du mariage, Jésus nous renvoie au projet initial de Dieu sur l’homme et la femme, et pour nous permettre de vivre notre vie chrétienne, il nous appelle aussi à nous conformer en tout au projet de Dieu : « Vous donc, vous serez parfaits comme votre Père céleste est parfait » (Matthieu 5, 48). Finalement, il s’agit toujours, avec l’aide de sa grâce, de rechercher quel est le projet de Dieu sur nous, et d’accueillir sa volonté ; c’est exigeant, bien sûr, mais c’est grand et beau, et riche d’espérance.
DIMANCHE 25 AOÛT 2024
21° Dimanche Ordinaire . Année B
Homélie sur Jean 6 , 60 - 69
« Cette parole est rude ! » … « Voulez-vous partir, vous aussi ? »
« Celui qui mange ma chair et boit mon sang a la vie éternelle » dit Jésus. Mais « beaucoup de ses disciples, qui avaient entendu, déclarèrent : ' Cette parole est rude ! Qui peut l’entendre ? ' »
Les paroles de Jésus scandalisent ses auditeurs, ce n’est pas la première fois. « A partir de ce moment, beaucoup de ses disciples s’en retournèrent et cessèrent de l’accompagner ».
La seule idée de manger la chair de Jésus et de boire son sang, cela révulse les Juifs raisonnables. Ils ne le comprennent pas, ils refusent de l’admettre, et alors ils tournent les talons. Le scandale est trop grand. Il ne reste que les Douze. Et Jésus ne cherche pas à les rassurer ; il leur demande seulement : « Voulez-vous partir, vous aussi ? »
Aujourd’hui comme il y a deux mille ans, les paroles de Jésus peuvent encore faire scandale, lorsque nous non plus nous ne les comprenons pas, lorsque nous ne comprenons pas qu'elles « sont esprit et qu'elles sont vie ».
Quand Jésus nous dit, par exemple,
. « Aimez vos ennemis, et priez pour ceux qui vous persécutent » (Matthieu 5, 44),
. ou bien « Si quelqu'un renvoie sa femme pour en épouser une autre, il est adultère » (Matthieu 19, 9),
. ou encore « Si quelqu'un veut marcher derrière moi, qu’il renonce à lui-même, qu’il prenne sa croix et qu’il me suive » (Matthieu 16, 24),
quand Jésus nous dit cela, il est sûr que cela répugne à notre nature. Il n’y a pas à s'étonner que notre raison et notre sensibilité s’insurgent : nous ne comprenons pas spontanément que c’est là le chemin de la vie éternelle. Allons-nous pour autant répondre, comme les Juifs : « Cette parole est rude ! Qui peut l’entendre ? » ?
Regardons plutôt l’attitude des douze Apôtres. Les Apôtres sont tout aussi déconcertés que les autres Juifs par les paroles de Jésus : « Celui qui mange ma chair et boit mon sang a la vie éternelle ». Pourtant, ils ne disent pas, comme les Juifs : « Nous ne comprenons pas, donc nous refusons de croire ». Mais ils ne disent pas non plus : « Nous ne comprenons pas, mais nous croyons quand même ». Non, ils disent : « Seigneur, à qui irions-nous ? Tu as les paroles de la vie éternelle. Quant à nous, nous croyons, et nous savons que tu es le Saint de Dieu ».
Les Apôtres ne cherchent donc pas à comprendre d’abord pour pouvoir croire ensuite ; ils ne cherchent pas non plus à croire d’abord en espérant comprendre ensuite. Non : leur attitude, c’est seulement de s’attacher à Jésus, de se soumettre à lui, de lui accorder leur confiance entière.
Les Apôtres sont déroutés, mais leur foi ne bronche pas, parce qu’elle repose sur leur attachement à Jésus.
La différence entre l’incrédulité des Juifs et la foi de Apôtres, elle est là. Elle vient du regard qu’ils posent sur Jésus : le regard fermé des Juifs, le regard aimant et confiant des Apôtres. Parce que ce regard que les Apôtres portent sur Jésus, ce regard les élève sur un plan supérieur, le plan de la grâce : « Personne ne peut venir à moi si cela ne lui est pas donné par le Père ».
Pour comprendre quelque chose ou pour y croire, il ne suffit pas forcément d’écouter, de regarder et de réfléchir : il faut parfois aussi avoir une certaine sympathie avec celui que l’on écoute, celui que l’on regarde. Quand nous écoutons Jésus, quand nous regardons Jésus, cette sympathie spirituelle, qui est nécessaire, elle nous est donnée par Dieu, et c’est une grâce, la grâce surnaturelle de la foi.
La grâce de la foi, elle touche notre cœur pour le tourner vers Dieu, et elle ouvre les yeux de notre âme (cf. C.E.C. 153). Elle ne nous montre pas des choses nouvelles, mais elle illumine ce que nous connaissons déjà, elle nous le montre sous un jour nouveau, elle nous en fait voir le caractère surnaturel.
Les Juifs et les Apôtres entendent tous les mêmes paroles de Jésus : « Celui qui mange ma chair et boit mon sang a la vie éternelle », mais les Juifs ne les entendent que dans leurs sens matériel, profane, alors que la grâce permet aux Apôtres d’y discerner une vérité surnaturelle et d’y adhérer librement. La grâce de la foi les éclaire, et leur permet d’un seul coup de comprendre et de croire.
Cela ne doit pas nous surprendre, parce que, au fond, c’est un peu la même chose que nous expérimentons dans notre vie de tous les jours : quand nous avons de la sympathie pour quelqu’un, nous comprenons mieux sa personnalité, nous comprenons plus facilement ses attitudes, ses réactions, ses sentiments.
De même, pardonnez-moi la comparaison, on est mieux préparé à comprendre un problème de mathématiques quand on a de la sympathie pour les mathématiques. Et quelquefois, on peut « sécher » pendant une heure sur un problème, et puis avoir d’un seul coup l’illumination qui nous fait trouver et comprendre la solution.
Pour comprendre les paroles de Jésus et pour y croire, c’est un peu pareil. Ce qui nous donne la sympathie spirituelle nécessaire, et ce qui nous éclaire, c’est la grâce de la foi, et cette grâce nous est donnée par Dieu : « Personne ne peut venir à moi si cela ne lui est pas donné par le Père ».
Une fois que cette grâce nous éclaire, nous sommes prêts à lui donner librement l’assentiment de notre intelligence et de notre volonté ; et c’est précisément notre rôle de donner cet assentiment, c’est-à-dire de répondre à la grâce en consentant à ce qu’elle nous fait voir, en consentant à ce qu’elle nous fait comprendre.
L’attitude des Apôtres, voilà l’attitude qui devrait être la nôtre chaque fois que nous rencontrons des difficultés dans le domaine de la foi. De telles difficultés, nous pouvons tous en rencontrer :
. ce peut être, comme les Juifs, devant certaines paroles de Jésus, qui nous paraissent difficiles à accepter ;
. ou bien devant certains enseignements de l’Eglise, par exemple dans les domaines du respect de la vie, de la morale sociale, de la morale conjugale ;
. ou bien encore devant l’attitude, parfois choquante ou même révoltante, de certains chrétiens ou de certains hommes d’Eglise ;
. ou bien aussi devant les injustices de l’existence, par exemple le scandale du mal et de la souffrance ;
. ou bien simplement devant la croix que nous avons chacun à porter dans notre vie.
Quand nous rencontrons ces difficultés, quelle est notre attitude ? Disons-nous, comme les Juifs : « Cette parole est rude ! Qui peut l’entendre ? », on ne peut pas continuer à suivre Jésus, on ne peut pas continuer à écouter l’Eglise ? Ou bien savons-nous dire, comme les Apôtres : « Seigneur, à qui irions-nous ? Tu as les paroles de la vie éternelle » ?
Quand nous rencontrons ces difficultés, eh bien, comme les Apôtres, tournons-nous vers Jésus, regardons Jésus avec notre cœur, et demandons-lui le don de la grâce, demandons-lui la grâce de la foi.
Et puis aussi, quand nous rencontrons ces difficultés, ne nous étonnons pas, n’allons pas penser que c’est anormal ou que c’est dramatique.
Non, pas du tout. La qualité de notre foi est à la mesure de la qualité de notre attachement à Dieu, de notre attachement à Jésus qui est la Parole de Dieu. C’est pourquoi les épreuves contre la foi, elles ont leur rôle : elles sont là pour qu’on les surmonte, elles nous servent à grandir dans la foi. Une difficulté, une épreuve, c’est une occasion que Dieu nous offre de nous rapprocher de lui, c’est Dieu qui vient mortifier ce qui pourrait gêner la pureté de notre foi, c’est Dieu qui vient nous proposer de purifier et de faire grandir notre foi. Ce n’est pas facile ? Certainement ! C’est douloureux ? Oui, parfois ! Mais c’est le chemin sur lequel Dieu nous invite, c’est le chemin qui nous rapprochera de lui.
Derrière toute épreuve, au fond, il y a Jésus, Jésus qui nous demande, comme aux Apôtres : « Voulez-vous partir, vous aussi ? » Mais cette question, c’est en fait une invitation à nous attacher à lui encore davantage.
Alors, que notre réponse soit celle des Apôtres : tournons-nous vers Jésus, regardons Jésus avec les yeux du cœur, d’un regard d’amour et de confiance absolue, et demandons-lui le don de la foi, demandons-lui de faire grandir notre foi : « Seigneur, à qui irions-nous ? Tu as les paroles de la vie éternelle ». Amen.
Dimanche 18 août 2024
20° Dimanche du Temps Ordinaire Année B
Homélie sur Jean, 6, 51 – 58
« Celui qui mange ma chair et boit mon sang a la vie éternelle »
« Amen, amen, je vous le dis : si vous ne mangez pas la chair du Fils de l’homme, et si vous ne buvez pas son sang, vous n’avez pas la vie en vous ».
Elles sont provocantes, ces paroles de Jésus, et il ne cherche pas à les expliquer, il ne cherche pas à les rendre acceptables pour ses auditeurs. Non, au contraire, Jésus insiste, il « enfonce le clou », si j’ose dire. Six fois de suite, dans ce petit passage d’Evangile, Jésus répète que c'est une nécessité de manger sa chair et de boire son sang.
On se souvient que la Loi de Moïse interdit de consommer le sang des animaux qu’on abat, et interdit de manger de la viande saignante. Alors les paroles de Jésus sonnent comme une provocation ! Et on comprend que les Juifs qui écoutent Jésus soient choqués : « Comment celui-là peut-il nous donner sa chair à manger ? »
Mais est-ce seulement de cela qu’ils sont choqués ?
Est-ce qu'ils prennent les paroles de Jésus au premier degré pour y voir une invitation morbide à une sorte de cannibalisme, assortie d'une rébellion contre la Loi de Moïse, ou bien une preuve qu’il a perdu la raison ? Peut-être, pour certains. Mais il y a bien davantage.
Dimanche dernier, déjà, « Les Juifs récriminaient contre Jésus parce qu’il avait déclaré : ‘Moi, je suis le pain qui est descendu du ciel’ » (Jean 6, 41). Leur contestation est plus profonde qu’une simple réaction au premier degré.
En disant : « Moi, je suis le pain qui est descendu du ciel », Jésus déclare qu’il est lui-même la nourriture spirituelle que Dieu donne à son peuple, Jésus s'applique à lui-même des termes qui dans la Bible désignent la Parole de Dieu, Jésus s’identifie à la Parole de Dieu, Jésus laisse entendre qu’il est Dieu lui-même, et pour ses auditeurs c’est un blasphème intolérable.
Aujourd’hui, en déclarant : « Celui qui mange ma chair et boit mon sang a la vie éternelle éternelle ; et moi, je le ressusciterai au dernier jour », Jésus va encore plus loin. Ressusciter les hommes au dernier jour, c’est une prérogative qui n’appartient qu’à Dieu seul, donc Jésus affirme nettement qu’il est Dieu.
Quant à l’expression « la chair et le sang », dans la langue hébraïque et dans la culture juive, elle un sens précis : c’est une expression sémitique qui désigne l'homme dans sa condition humaine, qui désigne l’homme tout entier dans la réalité matérielle de sa condition terrestre. C’est un mot encore plus concret et plus fort que le mot « corps ».
C'est ainsi que lorsque Simon-Pierre déclare à Jésus : « Tu es le Messie, le Fils du Dieu vivant ! », Jésus lui répond : « Heureux es-tu, Simon, fils de Yonas : Ce ne sont pas la chair et le sang qui te l'ont révélé, mais mon Père qui est aux cieux » (Matthieu 16, 17).
Les Juifs qui écoutaient Jésus pouvaient aussi penser au début du livre de la Genèse, lorsque Adam, découvrant la femme que Dieu a tirée de son côté, s’exclame : « Cette fois-ci, voilà l’os de mes os et la chair de ma chair ! On l’appellera femme … À cause de cela, l’homme s’attachera à sa femme, et tous deux ne feront plus qu’un » (Genèse 2, 23-24).
L’invitation de Jésus à manger sa chair et à boire son sang, elle est donc une invitation à s’unir à lui de la façon la plus forte, la plus matérielle, la plus intime qui soit, jusqu’à ne plus faire qu’un avec lui : « Celui qui mange ma chair et boit mon sang demeure en moi, et moi, je demeure en lui ».
Et cette phrase, elle est aussi pour les Juifs une référence au livre des Proverbes que nous entendions dans la première lecture : « La Sagesse a bâti sa maison … puis a dressé la table … elle appelle … : … Venez, mangez de mon pain, buvez le vin que j’ai préparé ». Par ce rapprochement avec la Sagesse, qui est une personnification de Dieu lui-même, Jésus laisse entendre à nouveau qu’il est Dieu.
Jésus heurte donc ses auditeurs, à la fois en se présentant comme Dieu, et en leur demandant de s’unir à lui pour ne plus faire qu’un avec lui.
Dimanche dernier, il se présentait comme la Parole de Dieu, la Parole qu’il faut accueillir ; aujourd’hui il se présente comme la Sagesse de Dieu, la Sagesse qu’il faut manger.
Dans cet appel de Jésus à manger sa chair et boire son sang, nous qui sommes chrétiens, nous voyons une annonce à peine voilée de l’Eucharistie. Et c’est exact.
Le récit de la multiplication des pains, que nous entendions il y a trois semaines, et le discours sur le pain de vie, que nous entendons pour le troisième dimanche consécutif, ils sont une catéchèse sur l’Eucharistie, ils sont une méditation spirituelle que nous donne saint Jean sur l’Eucharistie, dans un langage imagé un peu difficile à comprendre pour nous. Et pourtant cette catéchèse est très importante pour nous faire pénétrer dans le mystère de l’Eucharistie.
Quand nous allons à la messe, nous avons l'habitude de nous présenter à la sainte communion, pour recevoir l’Eucharistie. Mais comment voyons-nous l’Eucharistie ?
On peut aller communier simplement par habitude, pour accomplir un rite qui concrétise notre participation à la messe, qui concrétise notre attachement à Jésus, comme une façon d’affirmer notre foi chrétienne et notre appartenance à l’Eglise.
Si c'est seulement cela, évidemment, nous sommes loin de l'intention de Jésus.
On peut aussi recevoir l’Eucharistie pour nourrir notre vie spirituelle. De même que notre vie corporelle a besoin d’être entretenue par la nourriture, trois repas par jour, notre vie d’enfants de Dieu, que nous avons reçue au baptême, a besoin d’être entretenue par une nourriture spirituelle, la messe et la communion chaque dimanche. C’est bien, mais ce n’est pas suffisant, ce n’est pas seulement cela que Jésus a voulu.
On ne se présente pas pour recevoir l’Eucharistie simplement comme on se présente à la pompe à essence pour faire le plein de carburant ; l’Eucharistie, c’est bien plus que cela.
Ce à quoi Jésus nous invite d’abord, c'est à ne faire plus qu’un avec lui : « Celui qui mange ma chair et boit mon sang demeure en moi, et moi, je demeure en lui ». Et dans quel but ne faire plus qu’un avec Jésus ? Pour vivre de la vie même de Jésus.
En effet, dans le petit passage d’Evangile d'aujourd’hui, les mots "vie" ou "vivre" reviennent neuf fois : « Moi, je suis le pain vivant … Celui qui mange ma chair et boit mon sang a la vie éternelle ... celui qui mange ce pain vivra éternellement ». L’intention de Jésus, c'est de nous donner la vie, de nous unir à lui pour nous faire participer à sa propre vie.
Notre participation à l’Eucharistie, elle exprime et elle réalise notre désir de ne plus faire qu’un avec Jésus, d’entrer en communion d’amour et de destin avec lui, de partager sa vie.
Nous demeurerons en Jésus parce qu’il demeurera en nous ; en nous son Esprit agira pour nous animer, nous éclairer, nous guider, nous transformer. Progressivement, cette influence intérieure s’étendra jusqu’à ce que tout notre comportement, toute notre activité, soit le rayonnement de la présence du Fils de Dieu en nous. Nous vivrons par lui, nous pourrons dire comme saint Paul : « Je vis, mais ce n’est plus moi, c’est le Christ qui vit en moi » (Galates 2, 20).
Il y a davantage. Quand Jésus déclare : « Le pain que je donnerai, c’est ma chair pour la vie du monde », il annonce déjà le don qu’il fera de lui-même sur la Croix.
Et donc, en mangeant le corps de Jésus, son corps immolé sur la Croix, en buvant son sang, son sang versé sur la Croix, c’est aussi à Jésus crucifié que nous nous unissons.
Nous communions au mystère de son sacrifice, nous nous unissons au don total que Jésus fait de toute sa personne. Et donc nous consentons à laisser son amour nous transformer, nous rendre capables de donner nous aussi notre vie par amour pour lui et par amour pour nos frères.
Mais si nous vivons de la vie de Jésus crucifié, nous vivons aussi de la vie de Jésus ressuscité : le chrétien qui reçoit l’Eucharistie entre avec Jésus dans son grand mouvement de mort et de résurrection, il s'associe à la victoire de Jésus et à son triomphe sur le péché et sur la mort.
« Celui qui mange ma chair et boit mon sang a la vie éternelle ; et moi, je le ressusciterai au dernier jour », dit Jésus. C'est étonnant : il ne dit pas que nous ressusciterons pour entrer dans la vie éternelle, non, il dit l’inverse. La vie éternelle, c’est le présent de tous ceux qui se nourrissent du corps et du sang de Jésus ; et la résurrection, c'est l’avenir de ceux qui vivent dès aujourd’hui de la vie éternelle.
Communier, nous pouvons commencer à l’entrevoir maintenant, cela va beaucoup plus loin que ce que nous pensions. Il n'est plus question de notre petit confort individuel, il n’est plus question d'une espèce de « ravitaillement spirituel ». L'Eucharistie, elle nous engage. Elle nous engage à vivre la vie même de Celui que nous mangeons.
Au fond, c'est une histoire d'amour. Si nous mangeons le Christ, c'est pour devenir Celui que nous recevons, pour nous laisser entraîner à aimer comme il aime, à pardonner comme il pardonne, à donner notre vie comme il a donné la sienne, jusqu'à nous unir enfin à sa Résurrection et à sa gloire auprès du Père.
Alors maintenant, écoutons à nouveau Jésus nous dire : « Ma chair est la vraie nourriture, et mon sang est la vraie boisson. Celui qui mange ma chair et boit mon sang demeure en moi, et moi, je demeure en lui », et posons-nous la question : avons-nous faim et soif de cette nourriture et de cette boisson, sommes-nous des affamés de Dieu ?
Jeudi 15 août 2024
Solennité de l’Assomption
Nous célébrons aujourd’hui la solennité de l’Assomption de la Vierge Marie, c’est-à-dire de son élévation dans la gloire du Ciel. « La Vierge immaculée … ayant accompli le cours de sa vie terrestre, fut élevée corps et âme à la gloire du ciel, et exaltée par le Seigneur comme la Reine de l’univers, pour être ainsi plus entièrement conforme à son Fils, Seigneur des seigneurs, victorieux du péché et de la mort » (Lumen Gentium 59).
Cette fête est chère depuis toujours au peuple chrétien, qui est toujours heureux d’honorer la Mère du Sauveur.
Mais vous avez peut-être remarqué que les lectures de la messe d’aujourd’hui ne mentionnent pas l’Assomption.
Pour les autres solennités de la Vierge Marie, les lectures nous font facilement entrer dans le mystère célébré : ainsi à l’Annonciation nous entendons le récit de la visite de l’ange Gabriel à Marie ; à la Visitation, nous entendons le même Evangile qu’aujourd’hui, la visite de Marie à Elisabeth ; pour l’Immaculée Conception, nous entendons le récit du péché originel dans la Genèse et le récit de l’Annonciation, qui annoncent de façon voilée le mystère du jour.
Mais aujourd’hui le lien entre la solennité de l’Assomption et les lectures du jour n’est pas facile à saisir : nous avons entendu dans l’Apocalypse l’épisode de la femme et du dragon, puis dans la lettre aux Corinthiens l’annonce de la résurrection à venir, puis le récit de la Visitation.
C’est vrai que l’Assomption n’est mentionnée nulle part dans la Bible. Et pourtant c’est une vérité de foi, une vérité proclamée solennellement par le pape Pie XII en 1950, et c’est même le seul dogme que l’Eglise ait proclamé au cours du XX° siècle.
Si l’Eglise l’a ainsi proclamé solennellement, ce n’est pas pour ajouter un nouveau dogme à la foi chrétienne, mais c’est au contraire pour reconnaître que cette vérité fait partie intégrante, depuis toujours, du trésor de la foi de l’Eglise. Ce n’est qu’au XX° siècle que le peuple chrétien a souhaité que cette vérité soit solennellement définie, mais il la reconnaissait et il en vivait depuis toujours.
Nous avons des témoignages de la foi du peuple chrétien dans l’Assomption de Marie depuis le IV° siècle (saint Ephrem le Syrien, saint Epiphane de Salamine), et au V° siècle une église de Jérusalem était dédiée à la Dormition de Marie. Dormition, c’est le mot par lequel les chrétiens d’Orient désignent la fête d’aujourd’hui : la Dormition de la Vierge, qui au terme de sa vie terrestre s’est endormie et a été emportée au Ciel.
Pourquoi dire qu’elle s’est endormie ? Revenons à la seconde lecture, où saint Paul nous dit : « La mort étant venue par un homme, c’est par un homme aussi que vient la résurrection des morts ». La mort est entrée dans le monde par Adam, par le péché d’Adam ; mais Marie, qui est l’Immaculée Conception, Marie que Dieu a préservée du péché originel, ne pouvait pas être pas soumise à la mort qui est la conséquence du péché.
Les vérités de la foi sont liées entre elles : c’est pour donner à son Fils une Mère toute pure, que Dieu a préservé Marie du péché originel ; et c’est parce qu’elle a été préservée du péché qu’elle a pu accéder à la gloire du Ciel sans que son corps connaisse la corruption. Ce qu’elle a vécu ainsi, c’était le projet de Dieu sur l’humanité, c’était ce que nos premiers parents auraient vécu s’il n’y avait pas eu le péché originel. Et cette grâce unique, c’est à son Fils que Marie la doit, saint Paul nous le dit encore : « De même que tous les hommes meurent en Adam, de même c’est dans le Christ que tous recevront la vie ».
Marie est si intimement unie à son Fils qu’elle est la première à être associée à sa victoire sur le péché et sur la mort ; et de même que Jésus ressuscité est remonté auprès de son Père, de même Marie a été élevée corps et âme auprès de son Fils.
Cela éclaire le sens des paroles d’Elisabeth que nous entendions dans l’Evangile : « Tu es bénie entre toutes les femmes, et le fruit de tes entrailles est béni ». Marie est bénie au même titre que Jésus. Et, malgré son humilité, elle a conscience du privilège dont le Père l’a comblée, et elle le reconnaît discrètement : « Il s’est penché sur son humble servante ; désormais tous les âges me diront bienheureuse ».
C’est ainsi que l’Assomption de Marie, même si elle n’est pas mentionnée explicitement dans l’Ecriture Sainte, est fondée sur l’Ecriture, fait partie de la foi du peuple chrétien depuis les temps les plus reculés, et est en parfaite cohérence avec tout le contenu de la foi de l’Eglise.
La formule du dogme de l’Assomption n’a pas voulu préciser si Marie est morte ou non au terme de sa vie terrestre. Parce que, d’un côté, Marie n’étant pas marquée par le péché originel, n’avait pas besoin de passer par la mort pour entrer dans la gloire. Mais d’un autre côté, elle est associée de si près au destin de son Fils qu’on pourrait penser qu’elle a voulu l’imiter en passant comme lui par la mort, sans pour autant connaître la corruption du tombeau. Cela reste du domaine des opinions théologiques, des opinions libres.
Nous nous réjouissons de l’Assomption de Marie, de cet honneur que le Père a accordé à la Mère de son Fils ; nous nous en réjouissons parce que nous sommes toujours heureux de contempler et de célébrer les merveilles que Dieu a accomplies en celle que Jésus lui-même, au pied de la Croix, nous a donnée pour mère (cf. Jean 19, 27). Nous nous réjouissons de faire partie de ceux qui, selon ses propres termes, la « diront bienheureuse ».
Nous nous en réjouissons aussi parce que l’Assomption de Marie, qui est une participation à la Résurrection de Jésus, est aussi une anticipation de la résurrection de tous les autres chrétiens. Marie, qui est notre Mère, ou notre sœur aînée, nous précède là où Jésus, par sa Passion et sa Résurrection, nous a préparé une place, dans le bonheur du Ciel que Dieu nous destine pour l’éternité. Elle nous y précède et elle y intercède pour nous.
Alors, demandons à Marie de veiller sur nous, de nous garder et de nous soutenir durant notre pèlerinage terrestre. Demandons-lui de nous aider à être des saints, pour qu’un jour, avec son Fils, elle nous accueille au Paradis.
Frères et sœurs, bonne fête de l’Assomption à vous tous.
Dimanche 11 Août 2024
19° Dimanche du Temps Ordinaire Année B
Homélie sur Jean, 6, 41 – 51
« Je suis le pain vivant, qui est descendu du ciel »
« Les Juifs récriminaient contre Jésus parce qu’il avait déclaré: ‘Moi, je suis le pain qui est descendu du ciel’. Ils disaient : ‘Celui-là n’est-il pas Jésus, fils de Joseph ? Nous connaissons bien son père et sa mère. Alors comment peut-il dire maintenant : Je suis descendu du ciel’ ? »
Les Juifs récriminent contre Jésus.
La veille, ils avaient assisté à la multiplication des pains et en avaient été enthousiasmés. Aujourd’hui, Jésus leur explique la signification de ce miracle, Jésus leur explique que le pain matériel qu’il leur a donné n’est qu’une image de la nourriture spirituelle qu’il vient leur apporter, de la nourriture spirituelle qu’il est lui-même : « Moi, je suis le pain de la vie. Celui qui vient à moi n’aura plus jamais faim ; celui qui croit en moi n’aura plus jamais soif » (Jean 6, 35).
Cela, les Juifs ne le comprennent pas, ne l’admettent pas, et ils récriminent. Ce sont des râleurs.
D’une certaine façon, on les comprend, ces râleurs.
Si quelqu’un m’annonce qu’il va me donner sa propre chair à manger, je vais évidemment penser qu’il a l’esprit un peu dérangé. C’est pourtant bien cela que dit Jésus : « Moi, je suis le pain vivant, qui est descendu du ciel : si quelqu’un mange de ce pain, il vivra éternellement. Le pain que je donnerai, c’est ma chair, donnée pour la vie du monde ».
Si en plus il me déclare qu’il est descendu du ciel, cela me confirme qu’il est totalement cinglé. C’est pourtant bien cela que dit Jésus : « Moi, je suis le pain qui est descendu du ciel ».
Mais il y a davantage. Les Juifs savent bien qu’il existe deux sortes de nourritures : les matérielles, les spirituelles. Ils savent que la seule vraie nourriture spirituelle, c’est la Parole de Dieu. Le pain, nourriture matérielle, fait vivre le corps et entretient la vie biologique ; la Parole de Dieu, nourriture spirituelle, entretient la vie spirituelle.
Ce qui choque les Juifs, c’est que Jésus prétend être lui-même cette nourriture vivifiante. Il affirme : « Moi, je suis le pain qui est descendu du ciel », ce qui est exactement la définition de la Parole de Dieu dans l’Ancien Testament : « L’homme ne vit pas seulement de pain, mais de toute parole qui sort de la bouche de Dieu » (Deutéronome 8, 4).
Les Juifs ont beau avoir été témoins de la multiplication des pains, cette prétention de Jésus les scandalise. Comment Jésus peut-il se prendre pour la Parole de Dieu ? Comment ose-t-il prétendre être celui qui apporte la vie éternelle ? Il est un homme comme tout le monde, ni plus ni moins, il ne descend pas du ciel mais de parents humains, Joseph et Marie que nous connaissons bien. Est-ce qu’il se prendrait pour Dieu lui-même ?
Qu’il se prenne pour Dieu lui-même, Jésus le suggère effectivement : « Je suis le pain qui est descendu du ciel … Moi, je suis le pain de la vie ... Moi, je suis le pain vivant ». En disant solennellement, par trois fois, « Je suis », Jésus s’applique à lui-même le nom même de Dieu, le nom que Dieu a révélé à Moïse : « Je suis qui je suis. Tu parleras ainsi aux fils d’Israël : “Celui qui m’a envoyé vers vous, c’est : JE-SUIS” » (Exode, 3, 14).
La réaction scandalisée des auditeurs de Jésus, elle paraît une réaction de bon sens, puisque les affirmations de Jésus semblent bousculer le fondement même de leur foi en Dieu. Mais Jésus l’interprète autrement : il y voit un grave manque de foi, un refus de croire.
Et alors Jésus ne répond pas du tout à leurs objections, mais au contraire il « en rajoute ». Il leur dit : « Ne récriminez pas entre vous », ne râlez pas !
Pour des oreilles juives, l’emploi du mot « récriminer » est un reproche sévère : c’est un rappel de ce qu’on pourrait appeler le péché originel d’Israël : les contestations du peuple hébreu pendant la traversée du désert. Les quarante ans de l’Exode dans le Sinaï ont été parsemés de crises de confiance : dès qu’on rencontrait une nouvelle difficulté, la faim, la soif, les serpents venimeux ou les attaques des tribus ennemies, le peuple râlait contre Moïse et contre Dieu lui-même. Les Hébreux râlaient parce qu’ils ne faisaient pas confiance à Dieu, ni à Dieu ni à Moïse l’envoyé de Dieu ; et Moïse le leur a reproché : « Depuis le jour où vous êtes sortis d’Égypte jusqu’à ce que vous arriviez en ce lieu, vous avez été rebelles au Seigneur » (Deutéronome 9, 7).
La phrase de Jésus : « « Ne récriminez pas entre vous. Personne ne peut venir à moi, si le Père qui m’a envoyé ne l’attire » signifie alors : Ayez la foi. Ne râlez pas comme vos ancêtres du temps de l’Exode, mais faites confiance à Dieu et faites-moi confiance. Acceptez de vous laisser déposséder de votre bon sens qui est bien humain mais qui est trop humain. Ayez la foi et laissez-vous attirer par le Père qui veut vous conduire à moi. « Personne ne peut venir à moi, si le Père qui m’a envoyé ne l’attire, et moi, je le ressusciterai au dernier jour », « Quiconque a entendu le Père et reçu son enseignement vient à moi ».
Jésus reproche aux Juifs leur manque de foi. Pourtant la foi, ils l’ont, ces Juifs : ils croient que Dieu existe, et ils lui obéissent en observant la Loi que Dieu a donnée par l’intermédiaire de Moïse. Alors, qu’est-ce que Jésus leur reproche ?
Jésus ne leur reproche pas leurs certitudes de foi, mais il leur reproche d’être verrouillés dans leurs certitudes : parce qu’ils croient tout savoir, ils sont fermés à la nouveauté de l’Evangile. Puisque Dieu leur a parlé par Moïse, ils considèrent qu’ils possèdent la vérité et que Dieu n’aura plus rien d’autre à leur dire. Le message de Jésus ne correspond pas à l’idée qu’ils se font de Dieu, donc pour eux Jésus ne peut pas venir pas de Dieu.
Ce que Jésus reproche aux Juifs, c’est au fond de ne pas savoir reconnaître l’action de Dieu dans leur vie.
Nous, nous sommes un peu comme les Juifs qui écoutaient Jésus : l’action de Dieu dans nos vies, est-ce que nous savons la reconnaître, est-ce que savons l’accueillir ? Nous ne sommes pas forcément des râleurs, mais bien souvent nous vivons ancrés dans nos certitudes, dans nos manières de voir et de juger, et nous n’acceptons pas de les voir remises en question.
Nos certitudes, nos manières de vivre et de penser, nos habitudes, elles ne sont pas forcément mauvaises, mais Dieu est plus grand que nous, et Dieu peut venir parfois les bousculer. Dieu continue à nous parler, et l’action de Dieu dans notre vie ne correspond pas toujours à ce que nous attendions. Un seul souffle de l’Esprit Saint, et tout l’édifice dans lequel nous nous sentons en sécurité peut s’écrouler comme un château de cartes.
De quelle façon Dieu vient-il nous bousculer ? Cela peut être par un accident ou un deuil, une expérience professionnelle, une rencontre, un drame familial, un événement de la vie de l’Eglise, une vocation religieuse parmi nos proches, une épreuve intérieure, ou de bien d’autres façons encore …
Et Dieu nous bousculera toujours, comme Jésus bouscule ses interlocuteurs Juifs. Cela arrive dans toutes nos vies, que Dieu nous bouscule, et nous n’avons pas à nous en épouvanter, au contraire : quand nous voyons nos manières de vivre ou de penser remises en question, c’est peut-être le signe que Dieu veut nous parler, le signe que Dieu nous demande d’accepter de nous détacher de nos idées personnelles pour mieux nous attacher à lui.
Et quand cela nous arrive, comment réagir ? Nous pourrions râler et refuser, comme les Juifs. Essayons plutôt de reconnaître l’action de Dieu dans notre vie, de la reconnaître et de l’accueillir dans la foi.
Ce que les Juifs n’avaient pas compris – et ce que nous risquons, nous, d’oublier – c’est que la foi ce n’est pas d’abord un ensemble de certitudes et de comportements, mais que la foi c’est d’abord une relation vivante, une relation entre nous-mêmes et Dieu, à travers la personne de Jésus (cf. CEC 150-151. cf. Youcat 22).
Réciter le Credo, comme nous allons le faire dans quelques instants, c’est nécessaire pour exprimer le contenu de notre foi, mais cela ne suffit pas. On peut connaître les vérités de la foi et avoir pourtant une foi morte, comme les Juifs qui connaissaient Jésus, qui avaient même assisté au miracle de la multiplication des pains, et qui pourtant n’ont pas cru en lui. Pourquoi n’ont-ils pas cru en Jésus ? Parce que leur cœur était fermé à l’action de Dieu.
« Personne ne peut venir à moi, si le Père qui m’a envoyé ne l’attire », dit Jésus. La foi est un don de Dieu, et Dieu le Père nous attire toujours vers Jésus ; c’est à nous d’accueillir ce don en nous laissant attirer, en ouvrant notre cœur.
Parce que si notre cœur est fermé, nous avons beau lire la Bible et réciter le Credo, cela ne sert à rien, la foi n’entre pas.
Si par contre nous nous laissons attirer vers Jésus, nous recevons le don, le cadeau de la foi, d’une foi vivante qui nous fera entrer dans la relation d’amour et de vie qui existe entre Jésus et son Père, qui existe dans la Trinité.
Et alors, si notre foi est véritable, si nous sommes vraiment ouverts à Dieu, nous n’aurons plus peur de nous laisser bousculer par Dieu, parce que nous saurons que l’action de Dieu, même si elle nous déconcerte et nous dérange, elle est toujours une marque d’amour, elle est toujours destinée à nous rapprocher de lui, à faire grandir notre foi, à nous attirer davantage vers Jésus, vers Jésus qui nous dit : « Je suis le pain vivant, qui est descendu du ciel : si quelqu’un mange de ce pain, il vivra éternellement. Le pain que je donnerai, c’est ma chair, donnée pour la vie du monde ». Amen.