Il est tout à fait d’actualité, ce passage d’Evangile.
Il est d’actualité, d’abord, parce qu’il ressemble à notre journal télévisé. Il commence par les informations du jour, c’est-à-dire des catastrophes : des Galiléens massacrés par le gouverneur romain, des passants tués par l’écroulement d’un bâtiment. Et il continue avec l’émission conseils de jardinage : que faire si mon figuier ne porte pas de fruits ?
Il est d’actualité surtout parce qu’il nous donne le point de vue de Jésus sur ce journal télévisé, c’est-à-dire qu’il nous apprend quel regard un croyant doit porter sur les événements du monde.
L’interrogation des interlocuteurs de Jésus, on la comprend : Pilate a fait massacrer des Galiléens dans le Temple de Jérusalem, « mêlant leur sang à celui des sacrifices qu’ils offraient ». Alors, ces Galiléens étaient-ils coupables de quelque chose, est-ce la justice divine qui s’est servie de Pilate pour punir des pécheurs ? Nous, nous dirions plutôt : Pilate est un criminel, et comment Dieu peut-il permettre une chose pareille ? Mais notre réaction, finalement, est la même : devant les catastrophes et les mauvaises nouvelles, notre attitude est bien souvent de chercher un responsable, un coupable – les Galiléens, Pilate, ou Dieu lui-même.
Notre monde ne tourne pas rond, c’est vrai, et lorsque quelque chose ne tourne pas rond, on cherche un coupable, on veut pouvoir désigner un coupable et le punir. Le réchauffement climatique ? c’est la faute des gens qui produisent du gaz carbonique, donc il faut les sanctionner par des taxes et des réglementations, leur interdire les voitures anciennes, le diésel, les combustibles fossiles, etc. L’épidémie de covid ? c’est la faute des non-vaccinés, donc il faut les sanctionner … je n’ose pas répéter le mot qu’a employé notre président. La guerre en Ukraine ? c’est la faute de Poutine, donc il faut décréter des sanctions pour punir la Russie. Les exemples ne manquent pas, dans l’actualité récente ou moins récente.
Les interlocuteurs de Jésus sont sincères, ce n’est pas une question-piège qu’ils lui posent, comme le font parfois les Pharisiens, mais une vraie question, alors Jésus prend le temps de leur répondre. Sa réponse est déconcertante, parce qu’il déplace la problématique.
Dans un premier temps, Jésus leur dit d’emblée que leur attitude n’est pas la bonne : « Pensez-vous que ces Galiléens étaient de plus grands pécheurs que tous les autres Galiléens, pour avoir subi un tel sort ? Eh bien, je vous dis : pas du tout ! » … Jésus n’accuse pas pour autant Pilate ; il se contente de rapprocher cet événement d’un autre événement, qui pourtant n’a aucun lien avec lui : « Et ces dix-huit personnes tuées par la chute de la tour de Siloé, pensez-vous qu’elles étaient plus coupables que tous les autres habitants de Jérusalem ? Eh bien, je vous dis : pas du tout ! ».
C’est comme pour leur dire : Eh bien oui, le crime de Pilate est injuste et absurde, mais pas plus que cet accident qui a entraîné la mort de dix-huit personnes, donc il ne sert à rien de vouloir trouver un coupable. En refusant de désigner un coupable, ni les Galiléens ni même Pilate, Jésus défait le lien implicite entre ces morts violentes et la culpabilité des uns ou des autres : non, les victimes ne sont pas coupables, ni dans un cas ni dans l’autre, en tous cas pas plus coupables que n’importe qui, et donc la catastrophe n’est pas une punition de Dieu. La réponse de Jésus est donc très nette : il n’y a pas de lien immédiat entre nos malheurs et nos péchés.Ensuite, dans un deuxième temps, ce n’est pas une explication que Jésus donne à ses interlocuteurs, mais un avertissement : « Si vous ne vous convertissez pas, vous périrez tous de même ». Jésus leur fait entrevoir que la même chose, la même mort absurde, pourrait les atteindre, parce que, en fait, tous, et nous aussi, tous sont coupables, tous sont enfermés dans une même culpabilité, enfermés dans le péché.
Par-là, Jésus renverse notre logique, il nous dit : arrêtez de regarder les autres, arrêtez de dire que le fautif c’est l’autre ; regardez-vous vous-mêmes, posez-vous des questions sur vous-mêmes, parce que un sort funeste risque de vous attendre vous aussi si vous ne vous convertissez pas, un sort qui ne sera peut-être pas le massacre ou l’accident, mais qui risque d’être la mort éternelle, la privation de la vie éternelle.
Au lieu de donner une réponse expliquant le pourquoi du mal dans le monde et de la mort des hommes, Jésus invite à considérer les catastrophes non pas comme des punitions mais comme des avertissements, des avertissements qui nous rappellent que nous mourrons tous un jour et que le vrai drame serait de mourir loin de Dieu, parce que le véritable accident, la vraie maladie mortelle, c’est le péché qui sépare l’homme de Dieu, source de la vie.
Et puis, dans un troisième temps, Jésus termine par une parabole, une parabole qui parle d’un figuier au milieu d’une vigne, un figuier resté stérile malgré tous les soins qu’il a reçus, mais un figuier auquel, jusqu’au bout, on donne toutes les chances de rester en vie et de produire les fruits qu’on voudrait qu’il porte. Par-là, Jésus déplace à nouveau le questionnement : s’occuper de la culpabilité des autres est stérile alors que personne ne peut prétendre être innocent, mais il y a une bonne nouvelle, la bonne nouvelle de l’Evangile, c’est qu’il est possible de sortir de notre culpabilité, il est possible d’en sortir parce que Dieu, comme le vigneron de la parabole, attend notre conversion et nous en donne les moyens : « Laisse-le encore cette année, le temps que je bêche autour pour y mettre du fumier. Peut-être donnera-t-il du fruit à l’avenir ».
Nous retrouvons ici ce que disait déjà Ezéchiel : Dieu « ne prend pas plaisir à la mort du méchant, mais bien plutôt à ce qu’il se détourne de sa conduite et qu’il vive » (Ezéchiel 33, 11). Nous sommes comme le figuier, nous portons peu ou pas de fruits, et nous avons besoin de la patience et de la miséricorde de Dieu ; alors, ayons la sagesse de savoir tirer parti de ce que Dieu nous accorde, pour éviter l’issue fatale : « Peut-être donnera-t-il du fruit à l’avenir. Sinon, tu le couperas ».
Là encore Jésus renverse notre logique : en voulant désigner des coupables, au massacre des Galiléens comme à la stérilité du figuier, nous cherchons des causes dans le passé, en considérant que le présent est la conséquence du passé. Jésus nous invite à ne plus penser que le présent est piégé par le passé, mais au contraire que le présent doit être orienté par l’avenir : Jésus déplace notre regard du passé vers le futur, il oriente notre présent non plus vers le passé mais vers le futur. Changer ainsi notre regard, c’est une attitude constructive, et c’est une source d’espérance face à tout ce qui ne tourne pas rond dans notre monde, c’est une libération, et c’est la bonne nouvelle de l’Evangile.
Jésus ne nous donne donc aucune explication sur le comment et le pourquoi du mal, mais il nous offre une issue pour nous faire sortir de nos attitudes stériles, pour que la mort n’ait pas le dernier mot et pour que nous puissions entrer dans la logique de la vie.
Ce n’est pas à nous d’accuser et de couper l’arbre improductif, mais c’est à nous de bêcher le sol pour que l’arbre s’améliore … et de laisser Jésus lui-même bêcher autour de nous et nous recouvrir de fumier … même si nous trouvons que le fumier ne sent pas bon !
A nous maintenant, à chacun de nous, de voir ce que nous pouvons faire pour que notre figuier, c’est-à-dire nous-même, et si possible les figuiers qui nous entourent, puissent « donner (davantage) de fruits à l’avenir ».
Commentaires