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Jeudi 29 Mai 2025 - Homélie sur Actes 1, 1 – 11 et Luc 24, 46 – 53 Ascension du Seigneur - année C

« Galiléens, pourquoi restez-vous là à regarder vers le ciel ? » demandent les anges aux Apôtres. Ce n’est pas souvent que des anges prennent la parole, aussi ces quelques mots méritent qu’on y prête attention ; ils s’adressent aux Apôtres mais ils peuvent s’adresser à nous aussi.


En ce jour de l’Ascension, Jésus remonte vers son Père. C’est-à-dire que Jésus ressuscité, qui vient de passer quarante jours avec ses Apôtres, les quitte définitivement : « tandis qu’il les bénissait, il se sépara d’eux et il était emporté au ciel ». C’est la présence corporelle de Jésus qui les quitte, parce que spirituellement Jésus reste toujours présent avec eux, reste toujours présent avec nous : « Et moi, je suis avec vous tous les jours jusqu’à la fin du monde » (Matthieu 28, 20).


« Galiléens, pourquoi restez-vous là à regarder vers le ciel ? », cela ressemble à un reproche. Serait-ce donc une faute de regarder le ciel, serait-ce une faute de suivre Jésus du regard ? Les anges, qui sont au ciel auprès de Jésus, voudraient-ils nous en interdire l’accès, nous en interdire même le désir ?


Il s’agit bien d’un reproche, même s’il est amical. Mais le reproche ne porte pas sur le fait de regarder le ciel, de regarder Jésus, le reproche porte sur le type de regard que les Apôtres et nous-mêmes portons sur Jésus. Est-ce un regard contemplatif, un regard d’amour, qui exprime notre désir de rejoindre Jésus ? Ou bien est-ce un regard captateur, un regard possessif, par lequel nous chercherions à enfermer Jésus dans nos désirs terrestres ? « Pourquoi restez-vous là à regarder vers le ciel ? » : est-ce pour suivre Jésus, ou est-ce pour le ramener à terre ?

Nous avons en effet une tendance à vouloir mettre la main sur Dieu, à nous fabriquer une religion conforme à nos désirs, à vouloir ramener Jésus jusqu’à nous, à mettre la main sur lui pour le retenir. C’était déjà le cas pour Pierre, Jacques et Jean, lors de la Transfiguration : « Il est bon que nous soyons ici ! Faisons trois tentes, une pour toi, une pour Moïse, et une pour Élie » (Luc 9, 33), parce qu’il vaudrait bien mieux rester ici ensemble plutôt que de monter vers Jérusalem pour y trouver la croix ! Ou encore pour Marie-Madeleine, au matin de Pâques, qui voulait saisir Jésus ressuscité : « Ne me retiens pas » (Jean 20, 17), lui répond-il, pour couper court à son désir trop possessif.

Oui, à l’Ascension la présence corporelle de Jésus s’éloigne, il se dérobe à notre vue, c’est-à-dire à nos désirs, et donc il ne correspond pas, il ne correspond plus à ce que nous attendions, et nous en restons insatisfaits. Et c’est pour cela que le regard que nous portons sur Jésus n’est pas toujours bon, c’est pour cela que ce n’est pas toujours le regard que les anges, et que Jésus lui-même, attendent de nous.

En effet, bien souvent, à travers Jésus, c’est en réalité sur nous-mêmes et sur nos désirs personnels que nous reportons notre regard. Sur nous-mêmes et notre ambition personnelle comme la mère de Jacques et Jean qui demandait à Jésus : « Ordonne que mes deux fils que voici siègent, l’un à ta droite et l’autre à ta gauche, dans ton Royaume » (Matthieu 20, 21) ; ou sur nos projets politiques, comme les Apôtres eux- mêmes : « Seigneur, est-ce maintenant le temps où tu vas rétablir le royaume pour Israël ? » (Actes 1, 6).

Et moi-même, est-ce que je n’attends pas de Jésus qu’il me procure une vie heureuse, des relations agréables avec les autres et une bonne place dans la société ? Qu’il fasse réussir mes projets ? Qu’il redresse tout ce qui ne va pas dans la société et dans l’Eglise ? Ou qu’il me fasse évader loin des difficultés de la vie, oublier le réel, oublier qui je suis, qui sont les autres, oublier tout ce que la vie me fait souffrir ?

Tout cela, cela fausse le regard que nous portons sur Jésus, et c’est justement pour redresser notre regard que Jésus, aujourd’hui, disparaît dans une nuée. Oui, l’Ascension est un arrachement, c’est vrai, parce que, sans cesse, nous avons besoin d’être arrachés à nous-mêmes, et sans cesse nous rechignons. Nous voudrions que Jésus se conforme à nous, alors qu’au contraire c’est Jésus qui veut nous conformer à lui ! Et c’est précisément pour cela, pour nous conformer à lui par son Esprit, qu’il se dérobe, pour nous obliger à sortir de notre coquille, pour nous obliger à nous mettre en marche.


« Galiléens, pourquoi restez-vous là à regarder vers le ciel ? » Ce que Jésus attend de nous, c’est bien de regarder vers le ciel, mais d’un regard qui ne serait pas faussé. Nous chrétiens, nous n’avons pas à rabaisser notre regard, à rabaisser le regard de l’humanité vers la terre. Au contraire, c’est bien en haut qu’il nous faut regarder, comme d’ailleurs saint Paul le recommande aux Colossiens : « Si vous êtes ressuscités avec le Christ, recherchez les réalités d’en haut : c’est là qu’est le Christ, assis à la droite de Dieu. Pensez aux réalités d’en haut, non à celles de la terre » (Colossiens 3, 1-2).

C’est là le message que nous, chrétiens, nous avons à adresser à notre monde, notre monde qui ne cesse pas de regarder vers le bas, de se regarder lui-même avec complaisance, de tourner en rond sur lui-même en se fermant à tout ce qui est plus haut que lui. En orientant notre regard vers le ciel, l’Ascension nous libère de toutes les étroitesses dans lesquelles notre société voudrait nous tenir enfermés, l’Ascension nous révèle notre vraie vocation, l’Ascension nous ouvre le chemin du ciel.

L’Ascension ne doit pas nous pousser à vouloir ramener l’humanité de Jésus sur la terre, mais au contraire à vouloir le suivre au ciel ; à le suivre, chacun à la mesure de ses moyens, à le suivre tous ensemble en Eglise, et à orienter toute l’humanité vers le ciel.


Nous connaissons bien le monde dans lequel nous vivons : un monde qui place son idéal dans les jouissances éphémères et le repli sur soi. Un monde qui, dès l’enfance, nous apprend à nous passer de Dieu, à vivre comme si Dieu n’existait pas. Un monde dont l’histoire se fait désormais sans Dieu, qui se persuade de n’avoir pas besoin de lui, qui l’a évacué de tout, de ses institutions, de ses écoles, de ses lois, de sa morale, de sa science, de sa culture, qui ne veut plus lui reconnaître aucune place dans la société. Et, malheureusement, ce monde qui cherche à nous entraîner dans son refus de Dieu exerce forcément une influence sur nous et risque de détourner notre regard du ciel.

De ce monde-là, Jésus nous libère en nous invitant à le suivre dans son Ascension. Ce n’est pas facile, il ne s’agit pas du tout d’une élévation douce et légère, à la verticale, sans aucun effort ; c’est plutôt comme l’ascension d’un alpiniste qui part du fond d’une vallée et qui voit les sommets vers lesquels il se dirige, qui voit les pentes raides, les éboulis de pierres, les arêtes vertigineuses, qui sait que son cheminement devra être long, rude et patient. C’est vrai : c’est dans l’effort et la peine que nous progressons, à pas lents, à la suite de Jésus, en élevant notre cœur et notre prière vers le ciel, mais c’est là notre vocation, notre merveilleuse vocation, celle que Jésus nous a ouverte par son Ascension, et c’est la grâce de Jésus qui nous permet de nous élever peu à peu.


Dans cette ascension, il n’y a pas de compétition, pas d’exploits en solitaire, mais la communion de tout un peuple en marche, la communion de l’Église voulue par Jésus. Le sentier à suivre, c’est la Loi de Dieu ; la carte sur laquelle nous orienter, c’est sa Parole ; la nourriture énergétique qui nous fortifie, ce sont les sacrements de la foi. Et, pour couronner tout cela, il y a ce qui permet aux plus faibles de ne pas se laisser distancer par les plus vigoureux, il y a la longue corde de la charité qui nous tient unis les uns aux autres dans la main du Seigneur. Et c’est ainsi, pas après pas, que nous avançons nous-mêmes, que nous aidons l’Eglise à avancer, et que nous faisons progresser le monde.

Nous savons bien que ce n’est pas par nous-mêmes que nous pourrons arriver jusqu’au sommet. Le sommet, qui est la vie éternelle avec Dieu, il est inaccessible à nos forces, mais nous savons qu’au temps marqué Jésus lui-même viendra nous chercher en chemin pour nous y introduire : « Quand je serai parti vous préparer une place, je reviendrai et je vous emmènerai auprès de moi, afin que là où je suis, vous soyez, vous aussi » (Jean 14, 3). Que nous soyons à mi-pente, ou encore plus bas, peu importe ; l’essentiel est d’avoir engagé l’ascension. Jésus nous prendra, où que nous en soyons du chemin. La grandeur de notre vocation n’est pas d’avoir à forcer la porte du ciel par nos exploits, mais de savoir où nous allons, de savoir comment y aller, et de vouloir y aller en laissant grandir en nous le désir de la vie avec Dieu.


Alors, frères et sœurs, n’ayons pas peur de regarder le ciel de cultiver en nous le désir de la vie avec Dieu ; et témoignons par-là qu’il est possible et urgent de quitter les vallées glauques et marécageuses pour nous lancer dans la montée vers les sommets, qu’il est possible de répondre à notre merveilleuse vocation en nous engageant dans l’ascension à la suite et à la rencontre de Jésus. Amen.

 
 
 

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