Dimanche 8 Décembre 2024 - 2° Dimanche de l’ Avent Année C

Homélie sur Luc 3, 1 - 6

« Voix de celui qui crie dans le désert :Préparez le chemin du Seigneur »

Il a de quoi nous étonner un peu, l’Evangile d'aujourd'hui. Puisque nous sommes en Avent, nous pourrions nous attendre à un passage d’Evangile qui nous parle de la venue proche de Jésus, qui nous annonce Noël. Eh bien non. Il est question de Tibère, Hérode, Lysanias et compagnie. Et puis aussi de Jean-Baptiste. Mais rien sur Jésus. Pourquoi cela ? Relisons un peu cet Evangile.

1/ un zoom sur Jean-Baptiste

« L’an quinze du règne de l’empereur Tibère, Ponce Pilate étant gouverneur de la Judée, Hérode étant alors au pouvoir en Galilée, son frère Philippe dans le pays d’Iturée et de Traconitide, Lysanias en Abilène, les grands prêtres étant Hanne et Caïphe, la parole de Dieu fut adressée dans le désert à Jean, le fils de Zacharie ».

Au cinéma, cela s’appelle un zoom. Le zoom, on sait ce que c'est : l’écran nous montre d’abord le globe terrestre vu de l’espace, puis la vue se rapproche et on voit un continent, puis un pays, puis une région, puis une ville, puis une maison, et enfin on entre dans la maison par une fenêtre pour voir ce qui s’y passe. Le cinéma n’a rien inventé puisque saint Luc, ici, fait la même chose. Il montre d’abord l’empire romain, puis la Terre Sainte et les pays voisins, puis le peuple juif, puis le désert de Judée, puis Jean dans le désert.

Saint Luc cite le nom des puissants de l’époque, les chefs politiques et religieux : Tibère l’empereur romain, Pilate le gouverneur de Judée, Hérode le prince de Galilée, d’autres encore, et les grands prêtres Hanne et Caïphe. Cette énumération d’hommes illustres contraste avec ce qui suit : « la parole de Dieu fut adressée dans le désert à Jean ». La parole de Dieu ne va pas vers les lieux du pouvoir politique et religieux, mais vers un homme qui s’est résolument placé en marge, loin de tout. C’est à Jean, dans le désert, que Dieu adresse sa parole. Contre toute attente, le centre de l’univers, là où l’avenir se prépare, ce n’est pas le centre de l’empire romain, mais c’est le désert de Judée, « la région du Jourdain ». Jean-Baptiste est plus important que César.

Et si saint Luc énumère tous ces pays et tous ces personnages, païens et juifs, c’est aussi parce que Ponce Pilate, Hérode, Hanne et Caïphe, nous les retrouverons à la fin de son Evangile, lors de la Passion de Jésus ; et c'est encore parce que, dans les Actes des Apôtres, il emploiera l’effet de zoom inverse : l’Evangile prêché par Jésus va se propager depuis la Terre Sainte jusque dans les pays voisins, puis ensuite dans tout l’empire romain.

2/ Jean est prophète

« La parole de Dieu fut adressée … à Jean » : c’est exactement la même formule que la Bible emploie pour les prophètes Jérémie (Jérémie 1, 2 ; 11, 1) et Osée (Osée 1, 1). C’est exprès que saint Luc la reprend : il veut nous présenter d’emblée Jean-Baptiste comme un authentique prophète.

« Il proclamait un baptême de conversion pour le pardon des péchés » : la conversion a toujours été le thème de prédication favori des prophètes. « Comme il est écrit dans le livre des oracles d’Isaïe, le prophète » : saint Luc insiste pour situer Jean dans la lignée des grands prophètes.

A l’époque, il y avait cinq siècles qu’aucun prophète n’était plus apparu en Israël. Cette absence de prophètes pouvait être ressentie comme si la parole de Dieu était devenue muette. Mais saint Luc nous a déjà avertis que quelque chose se prépare : après la naissance miraculeuse de Jean, « Zacharie, son père, fut rempli d’Esprit Saint et prononça ces paroles prophétiques … Et toi, petit enfant, tu seras appelé prophète du Très-Haut » (Luc 1, 67.76).

« La parole de Dieu fut adressée dans le désert à Jean », rien de spectaculaire là-dedans, aucun témoin, pas de coups de tonnerre, pas de trompette, rien : le Seigneur lui a parlé discrètement, en aparté. C’est un tout petit rien, mais qui va faire boule de neige quand Jean va commencer à répondre à la mission qu’il a reçue, « en proclamant un baptême de conversion pour le pardon des péchés ». Et alors, tout va s’enchaîner, chacun va contribuer à rouler un peu la boule de neige, et cette conversion va bouleverser le monde entier.

3/ « dans le désert »

« La parole de Dieu fut adressée dans le désert à Jean », « Voix de celui qui crie dans le désert : Préparez le chemin du Seigneur ». Pourquoi le désert ? Dans la Bible, et dans la spiritualité chrétienne, le désert, lieu aride et inhospitalier, est un lieu d’ascèse et de prière, et c’est surtout le lieu où l’homme se retrouve seul et peut rencontrer Dieu.

C’est pourquoi, dans la Bible, le désert est un lieu par lequel il faut passer, par lequel il faut passer pour rejoindre une terre promise. Cela a été un passage nécessaire après la libération d’Égypte (Exode 5,1 ; 13,17-21) et celle de Babylone (Isaïe 40,3) ; cela a été un lieu nécessaire pour Moïse (Exode 3), pour Élie (1 Rois 19), pour Paul (Galates 1,17) et pour Jésus lui-même (Luc 4,1-13).

Le désert est un lieu matériel, mais le désert est encore plus le lieu du cœur, une dimension de la vie (cf. Osée 2, 16 : « Je vais l’entraîner jusqu’au désert, et je lui parlerai cœur à cœur »). On ne pourra jamais rejoindre aucune terre promise si on n’a pas le courage et la force d’affronter son propre désert. Le désert, désert matériel et surtout désert intérieur, c’est le lieu de la présence de Dieu, le lieu de la grâce.

Nous avons, chacun, un désert à l'intérieur de nous, un lieu de rencontre avec nous-mêmes, avec nos démons intérieurs, et avec Dieu. Ce n’est que dans ce désert que nous pourrons faire un choix radical, pour nous libérer de toutes les idoles (pouvoir, succès, popularité, orgueil, richesse, etc.), et pour purifier notre relation avec Dieu. Ce n’est que dans ce désert que nous trouverons la solitude et le silence qui nous permettront d’écouter la voix de Dieu. Nous ne devrions pas avoir peur d'aller dans ce désert, puisque c'est là que la parole de Dieu viendra vers nous.

« Voix de celui qui crie dans le désert : Préparez le chemin du Seigneur ». Prêcher dans le désert, cela ne signifie donc pas parler là où il ne se trouve personne pour écouter, cela signifie au contraire être en relation avec Dieu, recevoir et transmettre la parole de Dieu, et, dans le cas de Jean-Baptiste, préparer l’intervention de Dieu, annoncer et préparer la venue du Messie.

4/ « un baptême de conversion »

Jean « parcourut toute la région du Jourdain, en proclamant un baptême de conversion pour le pardon des péchés ».

Pourquoi prêcher la conversion ? C’est pour annoncer et préparer la venue de Jésus. Depuis des siècles, Dieu préparait son peuple, par les prophètes, à accueillir le Messie promis. Et Jean, le dernier des prophètes, est celui qui vient mettre la dernière main à cette longue pédagogie divine.

Jean est le Précurseur de Jésus, l’avant-coureur qui précède et annonce la venue de Jésus. De même, le baptême de Jean, « baptême de conversion pour le pardon des péchés », précède et annonce ce que sera le baptême de Jésus.

Le baptême de Jean n’efface pas les péchés, il n’est qu'un signe de conversion en vue du pardon des péchés ; le baptême qui efface les péchés, ce sera le baptême de Jésus. Jean le dira lui-même : « Moi, je vous baptise avec de l’eau ; mais il vient, celui qui est plus fort que moi… Lui vous baptisera dans l’Esprit Saint et le feu » (Luc 3, 16. cf. Actes 2, 38 ; 19, 4).

Le baptême que confère Jean prépare ceux qui le reçoivent à accueillir Jésus et à croire en Jésus. Il implique chez ceux qui le reçoivent un changement de comportement, un changement qui s’impose parce que Dieu est proche, parce que le Messie arrive. Il s’agit pour eux de se détourner de leur vie pécheresse, de s’orienter résolument vers Dieu.

  Le baptême de Jean, c'est le rite qui signifie ce changement de mentalité, ce retournement vers Dieu. C’est un geste extérieur qui est la traduction d’une conversion intérieure.

5/ « Préparez le chemin du Seigneur »

« Voix de celui qui crie dans le désert : Préparez le chemin du Seigneur, rendez droits ses sentiers. Tout ravin sera comblé, toute montagne et toute colline seront abaissées ; les passages tortueux deviendront droits, les chemins rocailleux seront aplanis ».

Jean annonce des travaux de terrassement, de gros travaux, comme pour construire une autoroute ; mais l’autoroute dont il s’agit, c’est « le chemin du Seigneur ». Et les travaux dont il s’agit, ils ne s’effectuent pas à la pelleteuse, mais ils s’effectuent dans les cœurs : ce que prêche Jean-Baptiste, c’est le changement de comportement, c’est la conversion.

Le chemin qu’il faut préparer pour le Seigneur, c’est le chemin sur lequel les auditeurs de Jean se préparent à accueillir la venue du Messie. C’est leurs cœurs qui doivent s'ouvrir à Dieu qui va venir.

« Tout ravin sera comblé, toute montagne et toute colline seront abaissées ».

Symboliquement, les ravins représentent les pauvres, les humbles, ceux qui sont en bas de l'échelle sociale, alors que les montagnes et les collines représentent les puissants, les orgueilleux.

  Jean demande par là aux puissants de descendre de leur piédestal pour se placer au niveau des petits, et de redresser, de remettre debout, ceux qui sont écrasés.

« Les passages tortueux deviendront droits, les chemins rocailleux seront aplanis ». Ce qui est tortueux ou rocailleux, c’est ce qui fait obstacle sur le chemin du Seigneur. Les chemins tortueux deviennent droits lorsque le cœur des méchants rentre dans la droiture de la justice, et les chemins rocailleux sont aplanis lorsque les violents découvrent la douceur et la bonté.

On reconnaît là l'espérance juive du Messie qui doit venir : ce rêve d'une société de justice, d'égalité et de paix.

6/ l’Avent

Revenons maintenant à notre question de départ : pourquoi la liturgie nous fait-elle entendre pendant l’Avent cet Evangile qui ne semble pas annoncer Noël ?

Eh bien, c’est parce que l'attitude que Jean-Baptiste demande à ceux qui viennent le trouver au désert, attitude de préparation à la venue du Messie, c’est l’attitude que nous, nous devons avoir pour attendre la venue de Jésus à Noël.

C’est à chaque moment de notre existence que Jésus peut venir à nous pour nous apporter sa grâce, mais cela se produit particulièrement dans la fête de Noël. Chaque année, la fête de Noël est une nouvelle naissance du Fils de Dieu, qui nous apporte ses grâces propres de miséricorde, et c'est pour mieux nous préparer à recevoir ces grâces que l'Eglise a institué le temps de l'Avent.

C’est pourquoi la voix de Jean-Baptiste s’adresse à nous aussi, c’est nous aussi qu’il invite à préparer le chemin du Seigneur. Il s’agit de la route du cœur de chacun qui doit s’ouvrir à Dieu qui va venir : redressons les voies tortueuses de l’égoïsme et de l’orgueil, pour faire place à la voie droite de la charité, la seule capable de nous préparer vraiment à accueillir Jésus à Noël.

Et nous qui sommes chrétiens, je crois que la voix de Jean-Baptiste nous appelle à davantage encore. Elle nous appelle à suivre Jésus, et à manifester et à témoigner que par Jésus le salut arrive pour tous les hommes. C’est-à-dire qu'elle nous appelle à être nous-mêmes prophètes, à l’image de Jean-Baptiste. C’est la mission de l’Eglise, dans laquelle nous sommes tous appelés à prendre notre part, au titre de notre baptême.

Nous sommes appelés à être nous-mêmes prophètes, à l’image de Jean-Baptiste. Et de même que « la parole de Dieu fut adressée dans le désert à Jean », nous ne deviendrons prophètes qu’en devenant des écoutants et des familiers de la Parole de Dieu : c’est elle qui nous place à distance, comme au désert, pour voir et annoncer la nouveauté de l’Evangile. Nous serons prophètes si nous rendons visible ce qu'est une vie inspirée par l’Evangile. A chacun de nous de découvrir comment notre vie, aujourd'hui et là où nous sommes, peut témoigner de l’Evangile,

Alors, que ce pèlerinage qu’est l’Avent nous conduise, sur des routes aplanies et rectifiées, jusqu’à la rencontre avec le Sauveur, pour accueillir les grâces que nous apportera sa naissance à Noël. Amen.